Bilan d’une cuvée insatisfaisante

Après 3 semaines d’une lutte (pas toujours) intense, le Giro a rendu son verdict et désigné un vainqueur pour le moins inattendu en la personne de Ryder Hesjedal. Débriefing d’une course qui ne restera pas dans les mémoires du spectateur lambda, tant par son contenu médiocre et terne que par son final en demi-teinte. 

Tout avait pourtant bien commencé avec un départ d’Herning, au Danemark. Le public scandinave a parfaitement répondu présent et a joué le jeu pour la première réception d’un Grand Tour sur ses terres. Le prologue permit de « dévoiler » le talent du jeune Taylor Phinney au grand jour, et donna quelques indications quand à l’état de forme des favoris.  Puis Mark Cavendish et Matthew Goss dominèrent des sprints massifs spectaculaires marqués par de nombreuses chutes qui auraient pu s’avérer très dangereuses à certains moments… Malgré tout, pas de cassures, et donc aucun favori piégé. Le scénario cauchemardesque de 2010 aux Pays-Bas n’aura pas lieu pour les Gadret, Rujano, et autres grimpeurs habitués à se faire distancer sur les routes ventées du nord de l’Europe.

Chaque sprint de ce Giro fut un régal pour les yeux, la domination de l’Express de Man a été parfaitement contestée, les valeureux Ventoso et Ferrari ont su saisir leur chance au mon moment pour trouver l’ouverture dans des emballages finaux toujours pleins de surprises. On regrettera presque que Cavendish, qui a eu le courage de terminer la course, ne remporte pas le classement par points pour une petite unité ! Privé de sa récompense par Purito, mais aussi et surtout par le jeune Guardini, Cav repart quand même avec trois beaux bouquets pour couronner son périple italien.

Une 3e semaine amère 

Puis vient la montagne et là… plus rien, le néant. Ce tracé « soft » devait permettre aux favoris de pouvoir attaquer, ce ne devait pas être la course physique, à l’usure, qui avait tant fatigué les organismes lors du printemps précédent. Mais malgré ce parcours allégé, tous ont paru totalement asphyxiés, totalement incapables de faire bouger un Ryder Hesjedal résistant mais pourtant limité quand la route s’élève vraiment. Premier coureur à pointer du doigt : Ivan Basso. Ce dernier a tout demandé à ses coéquipiers, il a assumé à lui seul le poids de la course pendant 80% du Giro. Mais dans le money-time, au moment où l’ancien double vainqueur devait capitaliser ce travail énorme, Basso s’est effondré. Légèrement distance à l’Alpe di Pampeago, l’italien est tombé encore plus bas lors de l’étape reine du Stelvio, un col qu’il connait par cœur et qu’il pensait pouvoir dominer une nouvelle fois. La réalité de la route en a décidé autrement.

Vainqueur sur tapis vert suite au déclassement d’Alberto Contador, Michele Scarponi n’a pas moins déçu. Après s’être plus ou moins préservé en début de saison, on pensait le voir encore plus fort qu’en 2011, et sans le madrilène, sans Andy Schleck, Scarponi était sur le papier le favori n°1, l’homme qui proposait le plus de garanties. Pourtant, lui aussi a échoué, sur toute la ligne. Incapable de retrouver du punch, perclus de crampes dans la 17e étape, il a souffert de bout en bout pour au final décrocher une maigre 4e place bien décevante pour un coureur de son standing.

Encore plus décevante, la 11e place de John Gadret. Le français qui formait l’an dernier un véritable carré d’as en montagne avec Contador, Nibali et Scarponi, au point de s’imposer comme l’un des meilleurs grimpeurs du monde, n’a pas confirmé en 2012. Irrégulier, souvent lâché, il termine loin, très loin de coureurs qu’il était sensé pouvoir accompagner et même battre sur le papier. Proche du Top 10 en 2011, Hubert Dupont recule également dans la hiérarchie. On pourra bien avancer que ces coureurs ont été désavantagés par un parcours comprenant moins de cols difficiles et essentielles répartis en toute fin de course, mais le bilan des deux leaders d’Ag2r est insuffisant.

Un canadien vainqueur au courage

Rendons à Hesjedal ce qui appartient à Hesjedal : sa victoire acquise à la régulière est amplement méritée, et s’inscrit dans la lignée du Tour et de la Vuelta de l’année précédente : des courses dures qui ont révélées les points faibles des grands leaders et permises à des coureurs que l’on n’attentait pas ou plus, de se repositionner tout au haut de l’échiquier. Parfois au bord de la rupture à Rocca Di Cambio ou à Lago Lacena, Hesjedal a toujours su trouver des réserves insoupçonnées pour rentrer dans les dix premiers à la fin de l’étape. De plus en plus fort en 3e semaine, Hesjedal a réalisé un sacré numéro sur les pentes du Stelvio en sauvant le Giro de la menace De Gendt. Tel un Cadel Evans au Galiber, le canadien a parfaitement une poursuite conduite seul de bout en bout. Mis face à ses responsabilités, il a fait preuve d’une étonnante maitrise à un moment où chaque favori voulait profiter de la situation pour se camoufler au risque de perdre le Giro. Rodriguez a lui passé une grande son Giro à courir à l’économie en attendant le dernier kilomètre pour grappiller des secondes sur le canadien.  Avec aussi peu d’avance avant l’ultime contre-la-montre, le catalan aurait du dynamiter la dernière ascension, mais la débourse d’énergie inutile dans son attaque suicidaire sur le Mortirolo lui aura couté cher dans le final.

Un constat général ressort de ces dernières grandes courses par étapes : la hiérarchie est encore une fois bousculée par des coureurs que l’on n’attendait pas. L’homogénéité du niveau des leaders en montagne est de plus en plus importante, et personne n’est à l’abri d’une défaillance soudaine (Kreuziger) ou d’un état de grâce soudain sur une ascension   (De Gendt). Le podium final Hesjedal-Rodriguez-De Gendt est probablement le plus faible jamais vu sur un Giro depuis une éternité : en effet, ces trois coureurs sont avant tout des puncheurs. Ils viennent tous de réaliser leur meilleur résultat sur Grand Tour, et de loin. Si le belge est encore jeune, Hesjedal et Rodriguez sont dans la trentaine, et leur niveau n’a pas véritablement augmenté. Ce podium constitué d’outsiders est essentiellement à mettre sur le dos de la défaillance du trio Basso-Scarponi-Rujano. Absolument pas souverains en montagne, Rodriguez et Hesjedal ont pourtant été les seuls à ne jamais se faire distancer, à toujours courir juste pour se rapprocher de leur rêve : le maillot rose.

Sur un parcours toujours relativement difficile mais plus humain, les purs grimpeurs ont énormément souffert. Les cols à plus de 2000 mètres d’altitude comme le Stelvio devaient permettre à Gadret, Rujano, Scarponi et Basso de se livrer une bataille hors du commun dans un duel au sommet, pas à Rodriguez et Hesjedal d’aller se disputer la victoire sur un Grand Tour.   

Louis Rivas

Suivre @ChroniqueDuVelo

Laisser un commentaire